Caen-Beyrouth

4 000 Km en 25 jours           L’ECHAPPEE BELLE

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En ce 18 juin 1997, l’appel de la résistance du Général De Gaulle sera notre « leitmotive ». Les amis étaient au rendez-vous sur l’esplanade du Mémorial de Caen pour un dernier salut. Sous leurs applaudissements, nous les quittons le coeur gros mais libre.

Une escorte de la police municipale nous permettra de traverser avec allégresse Caen, laissant derrière nous embouteillages et feux rouges. FR3 sera aussi présent nous interviewant et nous filmant en plein effort. Le soleil est au rendez-vous, nous facilitant notre étape.

Les trois étapes suivantes ne nous poseront aucun problème physique. Elles nous permettront d’avoir une approche humaine qui s’affirmera de jour en jour, et ce, jusqu’à Beyrouth. La région du Perche sera notre première difficulté : les bosses nous permettront d’acquérir la maîtrise du maniement du tandem. Chaque soir, nous dînerons chez des amis libanais à Antoine : leur accueil sera chaleureux.

Les premières difficultés s’annoncent à l’approche du Nivernais. Le relief escarpé ne nous quittera plus jusqu’aux premiers contreforts de la Savoie. Les conditions climatiques ralentiront notre progression : c’est avec courage et obstination que nous parviendrons à franchir ces différents obstacles jusqu’au massif de la Vanoise. Le lac du Bourget sera l’une de nos plus agréables étapes : après quelques emplettes, gestion administrative, nous campons aux abords du lac, dans un décor féerique, parmi une escouade de canards sauvages planant au-dessus de nos têtes.

La pluie torrentielle ne nous laisse aucun répit, activant notre fatigue. Antoine, notre coéquipier, a d’ailleurs attrapé la grippe. De force, Katia l’emmène chez le médecin. Il se résignera, il est trop las. Nous camperons à Modane : ce sera notre plus courte étape (vingt cinq kilomètres).

En ce lieu magique du massif de la Vanoise, l’infrastructure routière y est en pleine effervescence. L’autoroute Lyon-Turin ronge les pans de la montagne, agressant le milieu environnant. Cette région se dépeuple, au plus grand désarroi des autochtones, le chômage y est en forte progression.

Ultime journée sur notre territoire : celle-ci s’annoncera comme l’une des plus pénibles de notre périple l’ascension du mont Cenis (2083 mètres). Au départ de Modane, le soleil nous offrira ses premiers rayons. Le paysage est féerique : nous grimpons progressivement les côtes. Au loin apparaissent les premières cimes enneigées, mais le plus dur reste à faire. Il nous faudra près de deux heures pour gravir ce fameux col. L’effort y sera intense, notre volonté primera sur la douleur. Aucune communication ne sortira de nos bouches asséchées, nous sommes seuls dans notre supplice.

Ainsi défileront ces longues minutes jusqu’au sommet où nous laisserons notre joie éclater : las mais heureux d’y être parvenu. Le gérant de l’auberge de ces lieux, surpris de nous voir en tandem, nous offrira un copieux déjeuner. Une descente de vingt cinq kilomètres nous permettra de rallier Suza, première ville italienne. Dans l’euphorie la plus totale, nous battrons notre record de vitesse : 89 km/h.

L’ITALIE

Les indications routières que nous donneront les Italiens seront aléatoires et seront la cause de quelques désagréments durant ces premiers jours. Nous organiserons notre convoi différemment, nous ne nous quitterons plus.

Cette région du Piémont nous permettra d’accélérer notre allure. Le relief y est plat et le climat propice. Quel bonheur, nous troquons enfin nos cirés contre le « marcel ». Durant notre passage dans cette contrée, seule la traversée des grandes villes sera un obstacle. La plaine du Pô sera exquise, l’architecture délicieuse et l’accueil « occidentale ». Les vents de l’Adriatique rafraîchiront nos visages sous ce soleil ardent.

Les étapes sont longues (environ 180 km/jour) mais agréables. Nous roulons jusqu’à la nuit afin de parvenir dans le sud.

C’est à Bologne que notre coéquipier Samuel nous quittera. Nous en sommes navrés : tant d’efforts partagés ensemble. Mais ainsi va la vie, l’équipe doit continuer. Bruno, notre nouvel équipier, devrait nous rejoindre à Bologne, mais nous n’avons aucune nouvelle de lui, et nous nous inquiétons. Durant trois jours, nous continuerons notre rythme mais à trois. Sur un simple et unique coup de téléphone tant attendu, Bruno devrait nous rejoindre à Pescara. Le doute s’installe de plus en plus : sera-t-il là ? Nous n’avons d’autres renseignements. Que devient notre projet ? Car à trois, le temps nous fera cruellement défaut. Beyrouth est encore loin. C’est au « feeling » que nous irons à la gare de Pescara sous les dires approximatifs de Bruno. Ce cher « gai luron » y sera. Surpris de notre arrivée, nous laisserons échapper notre joie.

Enfin l’équipe est au complet. L’embarquement pour la Turquie est prévu à Brindisi. Grâce à la rencontre inopinée d’un couple de vacanciers hollandais, il serait possible d’appareiller à Bari, ce qui nous ferait gagner deux jours. Problème : aucune agence maritime ne prévoit de départs pour la Turquie. Nous restons perplexes. Notre témérité ne défaillira pas : demain, à l’aube, nous serons à l’embarcadère pour de plus amples renseignements. Ne jamais reculer, telle est notre devise. Après maintes négociations, nous parviendrons tout de même à embarquer à vingt et une heures.

Croisière plaisante sur les eaux calmes de la mer Égée. Au large apparaissent les premières îles grecques. L’ambiance est orientale, la ségrégation est présente : sur le pont supérieur, propice à tous les vents, la classe moyenne y est sommairement installée, les immigrants venant de l’Europe entière, vont passer leurs congés en famille. Le pont inférieur sera pour la classe A, la plus aisée, avec restaurant, « bien sûr ? ». La traversée durera deux jours, nous permettant de nous relaxer, prélasser sous ce soleil de plomb.

LA TURQUIE

A l’entrée du port de Cezmé, deux croiseurs de la marine turque veillent à la sécurité. Atmosphère spéciale.

Le réseau routier est redoutable, la chaleur a considérablement endommagé la chaussée rendant notre progression très difficile, la circulation est détestable, les poids lourds nous doublent dangereusement, frôlant sans scrupule le tandem. Le danger est trop grand. Seule solution possible : emprunter la piste, ralentissant notre allure. C’est peine perdue : au bout de quelques kilomètres, nous renonçons. Les hommes et le matériel sont soumis à trop rude épreuve. Consterné, nous appréhendons la suite de l’itinéraire. Le doute s’installe de nouveau. N’ayant pas le choix, nous décidons de rester sur la route, prêts à défier ces chauffards.

Toute la partie turque sera épuisante : son relief est accidenté, des côtes comme j’en ai jamais vu, la moindre bosse est un mur. Sous cette chaleur écrasante, accablante, les pneus collent au bitume. Le col Kandil Serti Raki (2370 m) nous vaudra deux heures trente de souffrance. Dans les lacets pentus, à la limite de l’équilibre (50 km/h), nous risquons plusieurs fois de tomber. A mi-chemin, un paysan se proposera même de nous tracter à l’aide de sa carriole surchargée de foin, nous y renoncerons d’un commun accord avec Antoine. Seule notre volonté primera.

Notre consommation en eau est de sept litres par personne et par jour. Notre organisme est mis à dure épreuve : notre vigilance est grande sur la qualité de l’eau, elle doit être minérale afin d’éviter la dysenterie.

Quelques mots sur l’accueil que nous a offert la population turque. Il sera des plus bénéfiques pour notre équipe aux moments les plus intenses. A n’importe quel moment de la journée, de l’endroit où nous nous situons, leurs bras seront grands ouverts ainsi que leurs foyers, leurs tables. Grande est leur surprise de nous voir débarquer dans leurs villages. Ils nous prennent pour des extra-terrestres : d’où venons-nous que faisons-nous, et où allons-nous ? Telles seront ces questions posées inlassablement tout au long du parcours. Ils partageront nos joies, nos faiblesses, comme ils savent très bien le faire. A chaque arrêt du tandem, l’hospitalité est présente : du thé nous sera systématiquement offert ainsi qu’un endroit ombragé pour nous reposer. Même la gendarmerie nationale sera de la partie : à la suite d’un banal contrôle, le sergent chef nous imposera un repos bien mérité dans ses locaux. La soirée se finira à jouer au ping-pong avec tout le commissariat ainsi qu’un copieux dîner arrosé d « arak », l’alcool local. Le réveil fut très dur. Ainsi se sont déroulés ces mille deux cents kilomètres de montagnes, de déserts, sous une chaleur aride. Le souvenir de ce pays qui restera a jamais gravé dans mon esprit sera celui de l’hospitalité.

LA SYRIE

Le Proche Orient nous ouvre ses portes. Le passage de la douane sera tout aussi folklorique : nous ferons essayer le tandem à des drôles de douaniers ébahis par notre arrivée. Pendant cent soixante treize kilomètres, nous longerons la Méditerranée sous une température douce et un plat relief. La chaîne de montagne orientée nord sud protège le littoral du désert. D’immenses affiches publicitaires scandent les slogans du roi Assan : il est un mythe pour la population syrienne. La circulation y est moins dangereuse. Beaucoup de « Mercedes » datant d’un autre âge, mais dont l’état de certaines y est exemplaire, circulent et jalonnent les routes. Nous roulons à vive allure, nous sommes près du but. Lattaquié sera notre ultime étape sur ce sol : celle-ci connaît une expansion si rapide grâce à son port, quelle est devenue la troisième ville du pays.

Soirée folle dans un des quartiers populaires de la ville : l’ambiance orientale nous dépayse. Partis pour dîner dans un boui-boui sous les conseils de notre hôtelière, nous nous égarerons dans ces étroites ruelles sombre, absentes de toutes lumières. Un groupe d’enfants nous encerclera subitement, criant et rigolant, s’agrippant à nos vêtements, au fauteuil d’Antoine, ébahis de nous voir ici. La situation est cocasse. Je reste subjugué par cette scène. Le sourire de ces enfants, la joie, se lisent sur leurs visages. Quel plaisir. A l’arrivée de leurs parents, attirés par le brouhaha, ceux-ci se querelleront à qui aura l’honneur de nous inviter à boire le thé. Nous passerons la soirée fortement arrosée d « arak » dans une ambiance chaleureuse, humaine.

Le réveil est dur. A l’approche de la frontière libanaise des postes militaires sont en faction. Antoine s’enflamme de joie après avoir passé la ligne : il est chez lui.

LE LIBAN

Le douanier drague sans scrupules notre coéquipière, je me dois de ralentir ses élans avec diplomatie car le pouvoir est présent.

Les problèmes commencent : Antoine doit verser quatre milles dollars de caution pour la voiture. Quelle fut notre surprise. Après maintes négociations parfois houleuses, nous parviendrons à rentrer sur le territoire libanais sans le véhicule, les plus Hautes Autorités s’en chargeront.

La route longe le littoral, des camps de bédouins syriens jalonnent la plage. De véritables camps de réfugiés où prône la misère, abandonnés au gré de certains pouvoirs politiques. D’immenses dépôts d’ordures, aux odeurs fétides, baignent dans la mer : spectacle ahurissant. Avec le vent, notre situation est horrible : nous nous devons de respirer par la bouche tant l’odeur y est pestilentielle.

Arrivée mémorable à l’orphelinat de « Mansourieh ». Le père Labaky, les enfants, la télévision ainsi que des amis nous accueillent avec bonheur. Notre joie est immense, indéfinissable. Nous avons réalisé notre objectif, malgré les aléas d’un tel voyage. Leurs visages épanouis, leur bonheur, valent toutes les souffrances du monde.

Conférence de presse en fin d’après-midi devant près de deux cents personnes venues pour nous entendre décrire notre aventure. Les orphelins, tout particulièrement, me semblaient admiratifs devant nos actes. J’avais l’impression déjà de faire parti de leurs familles. Leurs coeurs m’étaient grands ouverts, j’étais quelque part dans leur esprit comme un frère, un homme ayant conquis l’impossible, l’irréalisable. A l’idée qu’une équipe hétéroclite venue de nulle part, simplement pour leur cause, les remplissait d’une joie intense, les larmes naissaient sur leur peau tendre. Eux à qui la guerre a tout meurtri, a tout volé jusqu’à leur âme à jamais. Nous nous devions, à notre façon, de faire quelque chose. C’est peu devant leur souffrance acquise si prématurément.

Le lendemain, afin d’honorer comme il se doit l’inauguration de l’orphelinat, l’honorable père Labaky (homme à tout point de vue exemplaire) invitera le président Elias Hraoui ainsi que de hauts dignitaires et ambassadeurs. Le système de sécurité mis en oeuvre pour la sauvegarde de ces diplomates sera effrayant : l’armée libanaise, les services secrets, les gardes du corps auront la tâche difficile, le dispositif est chronométré avec minutie. En quelques secondes, le président sera littéralement propulsé à l’intérieur du foyer. C’est effrayé, ébahi, que j’ai pu constater ces scènes que j’étais loin de supposer. Un pays en guerre vaut bien toute cette mise en scène.

Antoine décide, avec le peu de temps qu’il me reste, de me faire visiter la capitale, Beyrouth, ce qu’il en reste plutôt. Jadis, elle était le royaume du Proche Orient, l’endroit de tous les rêves, les espoirs. Aujourd’hui, ville fantôme, mystérieuse, de gros capitaux internationaux sont investis pour la reconstruction de la métropole. La montagne étant un obstacle naturel, des millions de tonnes de gravats sont déversés dans la mer afin d’agrandir l’emplacement du site.

La circulation est cauchemardesque : c’est une véritable fourmilière. Il faut des heures pour traverser la ville. Spectacle de désolation devant ces immeubles, hôtels, maisons particulières, toilettes publiques, monuments, tout a été bombardé, martelé, c’est un véritable champ de gruyère. Des plaies béantes jaillissent à chaque coin de rues. Ces ruelles étroites démunies de tout système d’éclairage urbain rendent dangereuses notre circulation à la nuit tombée. Nous laisserons comme prévu notre tandem au centre de rééducation fonctionnelle de Tripoli, ainsi que la voiture à l’orphelinat. A travers le hublot de l’avion qui m’emportera pour l’occident, le coeur gros, les yeux embués, mon ultime regard sera pour la baie de Beyrouth, à ces gens chaleureux qui m’ont apportés tant de bonheur. J’ai geint comme à ma plus tendre enfance.

Voici quelques lignes sur cette ville, ses citoyens, qui ont profondément marqué mon esprit, ma façon de voir, d’analyser certaines choses, d’être positif